Vin et changement climatique

Vin et changement climatique

Vin et changement climatique 1282 1920 Château Cantenac Brown

Château Cantenac Brown Grand Cru Classé 1855 à Margaux a été fondé il y a 200 ans par un écossais John Lewis Brown. Reconnaissable à son spectaculaire château de style Tudor, Cantenac Brown est aujourd’hui encore une propriété familiale et a annoncé la construction d’un nouveau chai unique au monde entièrement en terre crue.

Vin et changement climatique sont intimement liés. En effet, le réchauffement climatique a de nombreux impacts qui affectent le vignoble bordelais et le Château Cantenac Brown. Augmentation des événements météorologiques extrêmes, développement des événements extrêmes, hausse des températures, sécheresses sont autant d’éléments à prendre en compte dans la conduite de la vigne. En conséquence, il est nécessaire de mener des actions d’adaptation afin de limiter les effets du changement climatique sur le vin. À plus long terme, ces actions garantissent la qualité des vins.

Qu’est-ce que le changement climatique ?

Le changement climatique est un phénomène naturel. La terre a toujours connu des variations climatiques et de température : c’est ainsi qu’à une époque le Sahara était une forêt luxuriante et des pingouins se promenaient sur les bords de la Méditerranée. Les gaz à effet de serre responsables du réchauffement de la planète sont naturellement présents dans la biosphère. Donc même si l’Homme n’habitait pas la Terre, les changements climatiques auraient tout de même lieu. Néanmoins les changements que nous observons aujourd’hui sont différents des changements climatiques qui ont rythmé les cycles de notre planète. Le volume de gaz à effet de serre dans l’atmosphère est significativement augmenté par l’activité humaine. Or plus il y a de gaz dans l’atmosphère et moins la chaleur peut s’échapper. Ainsi le problème est que l’occurrence de ces changements sont beaucoup plus rapides qu’auparavant. Si rapide qu’ils pourraient compromettre la capacité d’un grand nombre d’espèces à s’adapter à ces changements.

L’impact du changement climatique est déjà en partie visible par tous. Les glaciers et la banquise fondent, cette eau redevenue liquide rejoint les mers faisant ainsi monter le niveau de océans. Cette montée des eaux menacée l’installation humaine puisqu’en 2010, c’était la moitié de la population mondiale qui vivait à moins de 150km d’une côte. Sur le long terme et si les tendances continuent d’évoluer ainsi, certains territoires seront immergés ou trop sec pour continuer d’être habitables, les surfaces cultivables vont diminuer, les ressources en eau potable vont diminuer.

La vigne est un bon indicateur des effets du changement climatique

La production agricole est grandement menacée par les changements climatiques. La vigne est une plante qui a besoin de conditions très spécifiques pour être cultivée au mieux. Elle ne donnera des raisins de qualité uniquement à certaines températures, avec une certaine pluviométrie et sur des terres spécifiques. Les différents stades phénologique arrivent à des moments précis au rythme des saisons et des évolutions de température ce qui permet de suivre année après année la pousse de la vigne. D’après les statistiques du ministère de la Transition Écologique et Solidaire, les différents stades de la vigne arrivent deux semaines plutôt tôt qu’en 1990. La vigne est une plante vulnérable face aux maladies : elle ne montre des signes de maladies que très tardivement lorsqu’il est trop tard pour traiter d’où l’utilisation de rosiers dans les rangs de vignes pour anticiper l’arrivée de maladies. Ces spécificités de la vigne en font une plante intéressante et impérative à étudier dans un contexte de changement climatique.

L’étendue des territoires viticoles est un indicateur et une manifestation du changement climatique. Par exemple, des pays situés à des latitudes plus élevés commencent à faire du vin. Le Danemark a mis en place plusieurs appellations d’origine contrôlée dans la région du Jutland. La reine d’Angleterre a fait planter plus de 15 000 pieds de vigne sur le domaine de Windsor pour produire du vin pétillant. Au Japon, là où on plantait auparavant des cépages hybrides pour résister aux basses températures, on plante maintenant des cépages blancs de la vallée du Rhône.

La vigne de demain se plante aujourd’hui. C’est pour cela que les vignerons et viticulteurs ont tout intérêt à travailler avec les scientifiques et prendre en compte toutes ces données pour que les parcelles qu’ils plantent aujourd’hui puissent perdurer de manière optimale le plus longtemps possible.

Vin et changement climatique : le constat

Le vin fait partie intégrante de la culture française. En 2018, c’était 3 milliards de bouteilles qui ont été bu dans l’Hexagone. La France est le deuxième plus important consommateur de vin après les États-Unis. Cette culture particulière ne repose pas uniquement sur la consommation mais aussi sur la production. La filière emploie plus de 500 000 personnes en France sur 17 régions. En France, 1 exploitation agricole sur 5 est une exploitation viticole. En 2018, la France produisait 17% de la production mondiale viticole.

Depuis plusieurs années, nous observons les phénomènes liés au changement climatique au cœur des vignes. Par exemple, les vendanges sont de plus en plus tôt ou encore nos vignes sont frappées par des aléas climatiques de plus en plus importants et difficiles à prévoir qui portent une pression importante sur la conduite de la vigne. Par ailleurs, la difficulté à prévoir ces derniers implique une surveillance continue du vignoble afin d’apporter le soin nécessaire aux vignes.

Le réchauffement climatique et ses phénomènes indirectes comme la prolifération de maladies, la hausse d’épisode climatiques violents, viennent fragiliser la production viticole. En effet la cuvée de 2019 a été 6 à 13% moins importante que la cuvée 2018, une évolution qui est à mettre en relation avec les fortes chaleurs qui ont touché la France. Ce millésime devenait alors le millésime au rendement le plus faible sur les 5 dernières années. Ces chaleurs, au-delà même du rendement, ont entrainé une concentration des sucres qui amène un taux d’alcool plus élevée et une acidité plus marginale. L’équilibre des saveurs est fragilisé. Depuis 1970, le vin français a gagné en moyenne un demi degrés d’alcool par décennie. Si pour certains ce phénomène était une aubaine, apportant des sucres dans les vins qui en manquaient, les hausses des températures pourraient être dévastatrices dans les prochaines décennies. Depuis les années 2000, les techniques viticoles et les températures propices ont permis d’améliorer la maturation des raisins. Par exemple dans le beaujolais, les producteurs ajoutaient traditionnellement du sucre pour faire monter le taux d’alcool au niveau réglementaire. Cette technique devient inutile. Mais trop de sucre entraine un taux d’alcool trop élevé. Et s’il est possible de faire baisser le taux d’alcool, le processus est très couteux et compliqué. Cette technique est perçue comme une dénaturation du vin.

Selon le GIEC, si la température augmente de 2°C, entre 51 et 56% des terres viticoles seront perdues. Si la température moyenne augmente de 4°C alors de 77 à 85% des terres viticoles seront ruinées. C’est-à-dire que le climat deviendrait trop aride et le stress hydrique trop important pour cultiver la vigne. La vigne est particulièrement vulnérable face à ces changements car les raisins sont très sensibles au soleil, aux changements de température et aux phénomènes météorologiques. En effet les changements climatiques entrainent une augmentation des phénomènes météorologiques aigus comme les vents violents qui attisent les incendies dans les régions chaudes. Le lien a déjà établi entre la hausse des températures et l’avancement des stades phénologiques de la vigne. À titre d’exemple, 2020 fait partie des millésimes vendangées le plus tôt au château Cantenac Brown. Un tel constat est valable au sein de la majorité des Grands Crus Classés de 1855.

Avant de poursuivre, il est nécessaire de nuancer la vision apocalyptique qui est reprise par de nombreuses voix. La maturation précoce des vignes et du raisin est la conséquence d’une hausse des températures mais aussi de pratiques mises en place par les vignerons. Si les aléas météorologiques ont des conséquences néfastes sur les vignes, la hausse des températures a permis ces dernières années d’offrir des vins d’une qualité sans précédents avec des arômes sublimes. Néanmoins cette amélioration de la qualité des vins ne durera pas si la température continue à augmenter. L’évolution des goûts et arômes du vin peuvent déjà être perçu à la dégustation d’un bordeaux. Les notes traditionnelles de fruits rouges laissent millésime après millésime d’avantage de place à des arômes de fruits cuits. Il est difficile de faire la part entre ce qui est de la volonté des châteaux et ce qui relève du changement climatique. Depuis les années 80 jusqu’à la fin des années 2000, la quête de maturité des baies est le mot d’ordre des vignerons qui souhaitaient obtenir un jus toujours plus concentré. Une tendance qui est appelée vulgairement la « parkerisation » du vin pour plaire au goût américain. Ces pratiques ont joué un rôle dans l’amplification des effets du climat.

L’espèce humaine est résiliente de même que la végétation. Ainsi la question n’est pas vraiment de savoir s’il restera des vignes en France en 2050 mais plutôt de savoir quelle sera la qualité de ces productions, comment vont évoluer les appellations et quels cépages seront utilisés.

D’après plusieurs études dont le projet Laccave de l’INRA depuis 2012, le vin produit en 2050 devrait être plus concentré, moins acide, plus alcoolisé. Ce projet en particulier cherche à établir un portrait global de la filière et de la chaine technique d’ici 2050. Les chercheurs de l’INRA ont fait goûter du vin qui devrait ressembler aux millésimes de 2050 à un panel de testeurs qui les ont préférés aux vins actuels dans un premier temps avant de manifester leur écœurement au bout de plusieurs jours.

Ainsi il apparait que c’est en questionnant et en remettant en cause certaines pratiques que la vigne pourra être protéger au mieux des effets du réchauffement climatique et perdurer dans le temps.

Comment s’adapter face au changement climatique ?

Face à ce changement climatique, nous conduisons différentes initiatives. Les effets d’inertie du changement climatique et le temps long de la vigne nous obligent à entreprendre ces initiatives dès aujourd’hui afin d’en obtenir le résultat attendu dans 10 ou 15 ans.

Alors que pendant longtemps, la viticulture avec ses intrants et pesticides était perçue comme un secteur agricole responsable de la destruction de nombreux écosystèmes, elle cherche aujourd’hui à se réinventer vers une nouvelle vision plus proche de la nature. Afin de faire face au changement climatique, de plus en plus de vignerons se tournent vers des stratégies relatives à l’agroécologie. Il s’agit d’une façon de concevoir les systèmes productifs en s’appuyant sur l’écosystème. Ces principes permettent de limiter les effets et les conflits dans un écosystème mais aussi de préserver les ressources naturelles.

Les vignerons privilégient les sols sableux qui limitent la transmission de maladies. L’enherbement total ou partiel des parcelles permet de limiter l’évaporation sur certains sols. Pour limiter les brûlures sur les raisins, l’effeuillage devient plus léger pour protéger les grappes.

Les plaines du sud et les versants trop exposés devront être petit à petit remplacés par des parcelles d’altitude et de plus haute latitude. Depuis les années 50, la bande géographique propice à la culture de la vigne déjà restreinte, a dû être déplacée entre 80 et 120 km vers les pôles. Or cela devient un problème lorsque les cépages qui se sont adaptés à un terroir et un climat ne s’adaptent pas à ces nouveaux terroirs. Il faut donc aussi repenser l’encépagement.

Adapter l’encépagement du vignoble à long terme

Ainsi pour faire face à la hausse de température et aux changements de conditions climatiques, les viticulteurs doivent remplacer leurs cépages par des variétés qui seront mieux adaptées à ces conditions climatiques. L’adaptation de l’encépagement du vignoble est le premier chantier de long terme que nous devons mener. Cela permettra de diviser par deux la perte de territoires viticoles en France. En Bourgogne par exemple le pinot noir pourrait être remplacé par le mourvèdre ou le grenache. En Alsace, le Riesling devrait laisser sa place au Trebbiano. Certains terroirs redécouvrent des variétés de vignes locales et oubliées car jugées à l’époque pas assez sucrée, peu productives ou trop sensibles aux intempéries ou aux maladies.

Pour commencer, le Château Cantenac Brown est majoritairement planté en Cabernet Sauvignon. Ce cépage est adapté aux conditions climatiques actuelles. Toutefois, l’adaptation de l’encépagement du vignoble est le premier chantier de long terme que nous devons mener. En effet, la vigne plantée aujourd’hui ne pourra commencer à intégrer le grand vin du Château Cantenac Brown que dans plusieurs dizaines d’années.

Néanmoins cette option, opter pour d’autres variétés de vigne, sera efficace uniquement si la hausse des températures reste en dessous des 4°C. En outre ces changements devront s’accompagner d’importants changements administratifs, juridiques, culturels et financier dans la filière. Les appellations d’origine contrôlée devront être transformée pour prendre en compte ces changements : ces AOP encadrent d’avantage les territoires et les pratiques que les climats ce qui risque de créer un conflit. Les terroirs sont déterminés à partir de trois facteurs clés : le climat, le sol et la plante. Le climat a une place très importante dans la définition d’un terroir, si le climat change c’est tout le terroir et la typicité de ses vins qui sont compromis. Ces changements sont en cours de discussions dans les institutions européennes. Certaines appellations ont commencé à faire évoluer leur cahier des charges pour introduire des cépages nouveaux. Néanmoins la place qui leur est aujourd’hui concédée reste limitée, ces cépages ne peuvent occuper que jusqu’à 5% des surfaces cultivées et constituer jusqu’à 10% de l’assemblage.

À ce titre, nous privilégions la plantation des Cabernets Franc et Sauvignon au détriment du Merlot. Ces cépages permettent ainsi une adaptation complète de notre vignoble aux conditions climatiques actuelles. Nous envisageons également la plantation de Petit Verdot afin de rejoindre notre assemblage et de nous adapter aux conditions météorologiques et aux impératifs du changement climatique.

En outre, au moment de planter la vigne, il est également nécessaire de veiller à l’exposition la plus adaptée. Celle-ci permet à la vigne de recevoir la chaleur et le soleil suffisant pour assurer une bonne maturité. Toutefois, il est désormais crucial de veiller aux surfaces d’ombres.

Mener des actions éco responsables

Outre les actions au sein du vignoble, il est également crucial de porter des initiatives éco responsables. Ainsi, notre nouveau chai en terre crue est un exemple particulièrement évocateur et en tout point exemplaire. En premier lieu, comme le souligne Philippe Madec, l’utilisation de la terre crue et des bâtiments actuels permettent de réduire l’impact de cette construction sur l’environnement. Par ailleurs, ce nouveau chai est pensé pour limiter ses besoins énergétiques. Que ce soit par un puits climatique ou par une halle ombragée, ce chai est construit pour s’adapter parfaitement aux usages en limitant l’impact sur l’environnement.

D’autre part, la préservation de la biodiversité est cruciale. En ce sens, le Château Cantenac Brown bénéficie d’un parc arboré permettant de préserver certaines essences d’arbres mais également d’offrir un refuge pour la faune locale. La présence de moutons et d’agneau dans le parc du Château permettent également de stimuler l’écosystème local.

Adapter la conduite de la vigne à court terme

Si l’encépagement du vignoble est dépendant du temps long de la vigne, nous pouvons adapter la conduite de cette dernière afin de s’adapter le mieux possible au changement climatique. Cette dernière permet une adaptation rapide aux aléas climatiques et aux conditions météorologiques. Par exemple, en cas de fortes chaleurs, il est possible de moins effeuiller la vigne. La surface foliaire de la vigne permet de créer des ombres et ainsi de protéger les baies d’une exposition trop intense au soleil. La taille et son calendrier peuvent être déplacés pour encourager l’avancée ou le recul de l’occurrence des phases phénologiques.

Par ailleurs, il est également possible d’adapter le porte greffe afin d’obtenir des individus plus résistants à des conditions météorologiques intenses.

En d’autres termes, il existe différentes solutions et initiatives techniques qui permettent de réduire l’impact du changement climatique sur le vin. Ces changements techniques de court terme sont menés en parallèle à des évolutions de plus long terme et à des actions en faveur de la protection de l’environnement.